Contexte et définition : qu’en est-il de la déficience visuelle et de l’attitude des entreprises en 2019 ?
Selon la définition apportée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la déficience visuelle est le stade final d’une atteinte visuelle lorsque les différents traitements (médicaments, lasers, injections, chirurgies…) sont épuisés, ou du moins limités à empêcher une aggravation.
L’OMS classe ainsi la déficience visuelle en 5 catégories, déterminées selon l’acuité visuelle de loin avec correction : la déficience moyenne, la déficience sévère, la déficience profonde, la déficience (ou cécité) presque totale et la déficience (ou cécité) totale. Toutes les personnes atteintes de déficience visuelle ne sont donc pas forcément des personnes aveugles.
Aujourd’hui, on compte 1,7 million de malvoyants en France et environ 253 millions dans le monde. Selon l’OMS, d’ici 2050, ce chiffre devrait doubler pour des raisons diverses telles que la démographie, la pollution, l’hygiène, les maladies chroniques ou encore les nouvelles technologies : écrans, lumière bleue, perturbateurs endocriniens…
A l’heure actuelle, bien qu’elles consomment au quotidien biens et services, les personnes atteintes de déficience visuelle sont pourtant souvent écartées des consommateurs cibles traditionnels, ou inconnues des entreprises. En effet, selon une étude de l’Association des Aveugles de France, seuls 10% des sites Internet sont accessibles aux personnes aveugles et malvoyantes, alors même que plus de 80% d’entre elles ont déclaré en 2017 utiliser un ordinateur, portable ou de bureau, et naviguer sur le Web. De même, moins de 7% des contenus écrits sont adaptés à l’usage des aveugles et malvoyants. Cette situation tient à une idée reçue, commune à la majorité des entreprises : « Ils ne sont pas ma cible, ils n’achètent pas mes produits, mes services ».
Or, si les personnes atteintes de déficience visuelle sont différentes du persona traditionnel, elles n’en restent pas moins des consommateurs potentiels, au même titre que le reste de la population, pour les entreprises de tous les secteurs. Celles-ci gagneraient donc à adopter une communication et une démarche marketing adaptées afin non seulement d’augmenter leurs parts de marché mais aussi de faire de leur accessibilité un avantage concurrentiel indéniable.
Comment communiquer efficacement avec un consommateur malvoyant ?
Deux obstacles majeurs.
Tout d’abord, une idée reçue, communément répandue parmi les entreprises : « pour communiquer avec un malvoyant, il faut forcément recourir au braille ! ». Or, tous les malvoyants sont loin de maîtriser cet alphabet. Au contraire, seuls 10 à 15% d’entre eux sont en mesure de le déchiffrer, voire de le lire. Une démarche donc aussi coûteuse qu’inutile, pour des résultats qui ne seront pas ceux escomptés : l’entreprise devra en effet allouer un budget conséquent pour produire, imprimer et diffuser ce contenu, mais ne touchera qu’une petite partie de sa cible, au risque même d’en frustrer le reste.
En réalité, l’accessibilité n’est pas nécessairement hors-de-prix (et, surtout, n’a pas à l’être !) et peut donc tout à fait être intégrée au budget d’une société dans le cadre d’une politique RSE.
L’autre problème tient au fait que des entreprises, pourtant accessibles, ne communiquent pas sur cette accessibilité. Pourtant cette dernière, même si elle n’est pas parfaite, même si elle n’est que partielle, se doit d’être mise en avant afin de pouvoir devenir un levier de performance et de compétitivité pour les organisations. En outre, ce silence participe au sentiment d’exclusion que peuvent ressentir certains déficients visuels qui, non pas ignorés par les entreprises, sont en réalité mal-informés, voire non-informés, de l’accessibilité de leur structure et de leurs offres.
Quelles solutions concrètes mettre en place ?
Les canaux de communication pour les personnes malvoyantes sont sensiblement les mêmes que pour les personnes bien voyantes, à savoir le présentiel, le numérique et le print. Même canaux donc… Mais pas mêmes besoins ! En effet, on ne peut adopter une approche classique comme pour un client traditionnel ; l’enjeu est de rendre cette approche accessible.
La communication envers les consommateurs atteints de déficience visuelle s’articule autour de cinq grands axes :
- Le print
- Le numérique
- La signalétique
- Le présentiel, l’humain
- Le sensoriel
Chacun de ses axes présentent des difficultés d’accès immédiates pour les déficients visuels mais des solutions simples et concrètes peuvent être mises en place afin de les adapter à un public malvoyant.
Le print
Donner un support print à une personne malvoyante revient à donner à un consommateur lambda une page blanche : le problème n’est pas le support en lui-même, qui est accessible ; le problème tient au contenu qui, lui, n’est pas accessible. Catalogues, brochures, flyers, cartes de visite, bannières, kakemonos, goodies… autant de visuels inutiles pour les déficients visuels et sur lesquels s’appuie pourtant tout un pan de la communication des entreprises.
L’objectif est donc de rendre le contenu print accessible sans pour autant avoir à créer un support dédié. L’idée est de proposer un support unique mais qui soit déclinable par cible.
Concrètement, cette solution peut être en mise en œuvre en recourant à l’utilisation de QR Codes. Lus par les capteurs photos des terminaux mobiles connectés, tels que les smartphones ou les tablettes, ils permettent aux personnes malvoyantes d’accéder immédiatement et facilement au contenu print sans entraîner de surcoûts considérables pour les entreprises qui recourent à cette pratique.
La réalité augmentée pourra aussi être amenée dans les prochaines années, voire dans les prochains mois, à s’imposer comme un moyen de rendre le contenu print accessible aux déficients visuels en mettant en avant les messages et informations clefs à communiquer.
Pour les malvoyants (c’est-à-dire les individus souffrant d’une déficience moyenne ou sévère), il est important de penser lisibilité : les polices en déliés sont à proscrire ; il faut privilégier les grands caractères et les contrastes dans le choix des couleurs.
Le digital, le numérique
Qu’il s’agisse du Web, d’applications ou de vidéos, le problème d’accessibilité tient au visuel : manque de contrastes, pictogrammes trop petits, multiples fenêtres pop-up ouvertes sur les côtés, absence de support audio explicatif au profit d’une bande-son musicale… Autant de facteurs qui contrarient la lisibilité comme la praticité des supports numériques, à l’heure où le digital s’impose comme le nouveau canal de communication.
La vidéo, et notamment le podcast, semblent être aujourd’hui les deux formats les plus accessibles et constituent donc un enjeu majeur pour les entreprises. C’est donc vers ces deux formes de communication que les organisations doivent concentrer leurs efforts, en adoptant de bonnes pratiques destinées à améliorer leur accessibilité : voix off, travail de la charte graphique (contraste, choix de la typographie…), légende descriptive des visuels publiés…
Les podcasts de la marque Nespresso sont en ce sens un bon exemple d’illustration : en effet, en mobilisant le support d’un fichier audio, une bonne description du contenu de la vidéo et des informations pertinentes, ils se rendent accessibles à un public composé de personnes malvoyantes et permettent ainsi à la marque d’augmenter son nombre de consommateurs potentiels >>> https://www.nespresso.com/fr/fr/programme-podcast
Les entreprises qui désirent aller plus loin dans leur accessibilité numérique peuvent en outre faire le choix d’intégrer à leur site et application(s) mobile(s) des balises orales. Ces dernières permettent de décliner le contenu textuel en contenu audio et guident ainsi les personnes malvoyantes à travers le site et/ou l’application. Cette technologie pourrait ainsi notamment conduire à une avancée non-négligeable sur le marché du e-commerce en facilitant le commerce en ligne pour les déficients visuels.
En parallèle des balises orales, encore peu utilisées à l’heure actuelle, il existe des dispositifs de lecture d’écrans, lesquels permettent de repenser le parcours utilisateur en raison du besoin de compensation. Ces applications sont disponibles gratuitement sur tous les smartphones dans la rubrique « Accessibilité » des paramètres. Une application compatible avec ces dispositifs de lecture garantit donc que tout utilisateur malvoyant sera en mesure de s’en servir n’importe où, n’importe quand, en parfaite autonomie.
La signalétique
Les enjeux de la signalétique comme axe de communication s’articulent autour de deux grandes problématiques. D’une part, il n’y a pas toujours quelqu’un de disponible pour informer et orienter les personnes malvoyantes, et, d’autre part, ces dernières ont souvent la volonté de se débrouiller par elles-mêmes et de ne pas se sentir assistées.
Pour répondre à ces deux défis, plusieurs solutions concrètes peuvent être déployées :
Tout d’abord, l’utilisation de balises sonores, lesquelles délivrent des informations orales en temps réel via un haut-parleur. Placées à l’entrée des bâtiments, aux guichets d’accueil, sur un panneau publicitaire… elles s’activent grâce à une télécommande transportable et permettent aux personnes déficientes visuelles de recevoir des indications de repérage (« vous vous situez à l’entrée de la gare … »), d’orientation (« l’accueil se trouvera sur votre gauche en suivant la bande de guidage ») et de logistique (« la gare est ouverte de 5h à 00h tous les jours »).
Selon une enquête réalisée en septembre 2015 par l’Institut de la Vision, 3 malvoyants sur 4 déclarent privilégier les lieux équipés de balises sonores, cette technique étant aujourd’hui considérée par 4 utilisateurs sur 5 comme l’aide à l’orientation la plus utile.
Par ailleurs, des repères sensoriels peuvent venir seconder la signalétique traditionnelle. On parle en ce sens de signalétique tactile (ou podotactile), à savoir des dispositifs d’information détectables à la main, au pied ou à la canne et qui fournissent aux déficients visuels une information localisée, signalent un danger ou indiquent une direction à suivre, notamment grâce à des bandes d’éveil de vigilance ou bandes de guidage. On peut prendre pour exemple la gare Lille Flandres qui a été entièrement repensée de manière à permettre aux personnes malvoyantes de se diriger seules.
Finalement, la signalétique à l’égard des malvoyants passe par le design de la signalétique déjà existante. Les indications directionnelles comme le fléchage doivent s’appuyer sur les principes graphiques suivants : couleurs contrastées (bannir par exemple une écriture rouge sur un fond orange) ; grand caractère, typographie de type « SERIF » (éviter absolument les typographies script, cursive et fantaisie).
Le relationnel, l’humain
Cet axe de communication primordial est sans doute aussi le plus délicat. En effet, sans la dimension relationnelle, l’ensemble du travail d’accessibilité fourni en amont est inutile. Cet axe de communication est donc indissociable de toute démarche d’accessibilité. Néanmoins, un problème majeur et récurrent se pose : nombre de gens ne savent comment réagir, quoi faire, face à un client ou un utilisateur malvoyant. Un comportement inadapté ou maladroit qui nuit non seulement à la communication mais aussi, parfois, à l’image de l’entreprise.
Pallier ce problème, c’est avant tout lutter contre des automatismes de langage. On oublie les formules telles que « Vous me reconnaissez ? », « Signez-là », ou « C’est par-là » : autant d’indications visuelles qui ne réfèrent à rien pour les malvoyants. Pour eux, « là » ne correspond à rien et reconnaître quelqu’un qu’on ne peut voir n’est pas tâche aisée… Il faut donc adopter un discours précis, fait d’informations claires et localisées. Par exemple, dire : « Le bureau se trouve à environ 500 mètres, la deuxième porte sur votre gauche » et non « Le bureau se trouve là-bas au bout du couloir ».
Un autre réflexe à adopter : prendre l’habitude de se présenter en donnant quelques informations clefs sur soi. Au cours d’une soirée de networking par exemple, une personne atteinte de déficience visuelle sera dans l’incapacité de déchiffrer les badges indiquant les noms, fonctions et structures de chacun. En déclinant son identité, on permet ainsi aux malvoyants d’adapter leur discours à leur interlocuteur.
A ce discours précis, s’ajoutent des procédures d’accompagnement, lesquelles peuvent être tout aussi bien physiques que verbales. Comme vu dans le paragraphe précédent, ces procédures d’accompagnement peuvent se traduire par des informations détaillées, mais aussi par le fait de guider les gestes ou la personne : remettre un objet, un verre… en mains propres au lieu de le poser sur une table, positionner la main à l’endroit où il faut émerger, proposer son bras afin d’accompagner jusqu’à un lieu déterminé… En soi donc, des habitudes faciles à adopter mais qui feront pourtant la différence aux yeux d’un consommateur malvoyant qui aurait à choisir entre plusieurs entreprises.
Toute la difficulté de cette dimension humaine réside également dans la capacité à proposer son aide et seconder un malvoyant sans pour autant faire à sa place et lui donner le sentiment d’être assisté, ce qui pourrait aisément le frustrer ou le vexer. Pour ce faire, des formations sont possibles. Et avant de penser coût et temps, précisons qu’il est désormais possible de former efficacement en quelques heures seulement le personnel d’accueil !
Prenons l’exemple de la Macif de Lille – Montebello : le personnel a bénéficié d’une formation sur l’accueil des personnes en situation de handicap. Une formation dispensée par la société Tyresias sur une demi-journée et qui apporte aujourd’hui des résultats concrets à l’entreprise puisque cette dernière est notamment plébiscitée pour son accessibilité et la qualité de son relationnel.
La société Apple s’illustre également par son accessibilité relationnelle : en effet, chacun de ses points de vente propose aujourd’hui un accueil spécifique aux personnes en situation de handicap ainsi que des ateliers de formation accessibles à tous les publics.
Le sensoriel
Le sensoriel est le dernier axe de communication par le biais duquel s’adresser à un public déficient visuel. L’objectif de ce canal est de pallier la déficience d’un sens, à savoir la vue, en instaurant une communication « pluri-sensorielle », c’est-à-dire une communication qui mobilise plusieurs de nos cinq sens.
La communication sensorielle repose en effet sur un principe simple : tous, nous avons au moins un sens en commun qui nous permet de communiquer. Aussi, la communication sensorielle vise à faire passer le même message, mais en le déclinant sur différents sens. On peut prendre pour exemple le tramway de Montpellier : afin d’indiquer aux usagers sur quelle ligne ils se trouvent, la compagnie a mis en place des indicateurs visuels mais a aussi développé une fragrance par ligne. Concrètement, cela signifie que l’on peut savoir rien qu’en respirant sur quelle ligne de tramway on se trouve.
Mettre en place cette communication suppose la création d’une identité sensorielle. Prenons le cas de la SNCF : la SCNF est immédiatement reconnue des utilisateurs grâce à son logo, mais aussi grâce à cette célèbre petite musique précédent chaque annonce. Il en va de même pour les parfums, qui sont reconnaissables certes à leur flacon ou à leur logo, mais aussi à leur odeur.
Travailler l’identité sensorielle, c’est qui plus est travailler l’image de marque de son entreprise, à condition de ne pas confondre cette identité sensorielle avec une démarche de marketing sensoriel. Cette technique marketing consiste en effet à solliciter plusieurs des cinq sens du consommateur afin de le séduire en accroissant son bien-être dans le but d’influencer favorablement l’acte d’achat. Les boulangeries Paul par exemple ont recours à cette stratégie en diffusant des odeurs de pains au chocolat dans la rue ou les gares, mais n’ont pas en revanche d’identité sensorielle.
Pour se rendre accessibles aux personnes malvoyantes, les entreprises doivent donc parvenir à créer une offre unique, mais agrémentée de réglages et options qui répondent aux divers besoins de leurs différentes cibles. L’objectif est donc de parvenir à décliner une approche universelle.
Ces cinq axes de communication que sont le print, le numérique, la signalétique, le relationnel et le sensoriel ne doivent pas être segmentés mais, au contraire, être appréhendés comme des axes complémentaires, décuplant le potentiel communicationnel de chacun.
Dans le même temps, il n’est pas nécessaire pour une entreprise d’avoir ces cinq axes pour être accessible. Même incomplète, l’accessibilité d’une société doit toujours être mise en avant afin de devenir un réel avantage concurrentiel et d’inscrire l’entreprise dans une démarche RSE.
Nicolas KARASIEWICZ – Président fondateur de Bien Vu