Apparu dans le courant des années 2000 dans l’hexagone, le marketing territorial s’y développe actuellement d’une manière anarchique, rarement pour le meilleur, souvent pour le pire. La concurrence accrue des territoires en matière d’attractivité génère une aspiration des élus et des services des collectivités locales et territoriales vers des dispositifs rarement maîtrisés. Une folie douce qui ne semble pas encore devoir se calmer.
La France des marques de territoire en 2018 © Vincent Gollain
Dans un billet daté du 27 juillet 2018 sur son blog marketing-territorial.org et intitulé 11 ans à vos côtés, Vincent Gollain, Directeur économie de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de l’Île de France dresse un bilan en demi-teinte des onze années et 1300 articles de son blog, regrettant notamment que « le marketing est parfois souvent mis exagérément à toutes les sauces (faut bien vivre me disent certains consultants et communicants), la marque territoriale est devenue ici ou là la fin plutôt que le moyen, le gadget technologique remplace parfois l’effet d’expérience ».
Déjà loin de l’époque des pionniers
Depuis l’époque des grands pionniers que furent les agences de développement économique de Reims (Invest in Reims – 2003) et surtout de Lyon (Only Lyon – 2007) qui servent toujours de références nationales, le phénomène a pris beaucoup d’ampleur au point de devenir quasi incontournable dans toutes les villes de plus de 50 000 habitants, les grandes intercommunalités, les régions…et même certains départements, sous l’angle spécifique du tourisme pour ces derniers puisqu’ils ont perdu leur compétence relative au développement économique. Un tel engouement n’a pas été sans une logique disparité des pratiques et des approches, comme l’a clairement montré l’étude menée par Anne Miriel (agence Inkipit) pour le compte de Cap’Com en 2016 qui a montré la multiplicité des types d’organisation du marketing territorial selon les territoires et surtout ambiguïté du rôle des communicants publics dans les démarches de marketing territorial mises en place.
Les marchés du marketing territorial. © Vincent Gollain
Attirer les talents
Pourquoi un tel phénomène ? La cause principale réside dans la concurrence, désormais établie comme un fait, des territoires. Vingt ans après la décentralisation et face à la désindustrialisation de la France et au chômage persistant, il est apparu clairement que l’un des principaux juges de paix du succès d’un mandat politique est plus que jamais la question de l’emploi. Les grands investissements internationaux comme celui de l’usine Toyota qui a contribué à sortir le Valenciennois de la crise, en 1999, ne sont plus qu’un rêve. Il faut désormais se battre pour aller chercher des entreprises et garder celles qui sont là. Mais pour attirer ou pérenniser des sites de production à la compétitivité internationale parfois discutable, il faut essayer de les associer à des centres de recherche et de développement et aux structures de formation supérieure. C’est le principe des clusters cher à l’économiste américain Michael Porter. Plus globalement, les activités de recherche et de développement, la formation supérieure, la création d’entreprises innovantes nécessitent d’attirer à soi des cadres, des enseignants, des étudiants, des artistes et plus globalement des « talents ». Le phénomène de métropolisation a également contribué à l’exacerbation de la concurrence des territoires en donnant aux métropoles des moyens humains et financiers de mettre en place des démarches de marketing que beaucoup de territoires plus modestes ne peuvent s’offrir.
Logique territoriale contre logique institutionnelle
La question de l’attractivité des territoires envers les entreprises et les talents suppose une approche globale qui dépasse largement les limites traditionnelles du développement économique et même celles des champs de responsabilité d’une collectivité publique. Il faut penser cadre de vie, culture, transports, urbanisme, enseignement, commerce, services, santé, sécurité…et surtout penser « Territoire ». C’est-à-dire que c’est à l’ensemble des acteurs publics et même privés d’un territoire de se mobiliser pour réfléchir ensemble à la manière d’être plus attractif. C’est souvent là que le bât blesse. En effet, nos territoires sont certes gouvernés par des élus, mais aussi, d’une certaine manière, par d’autres institutions indépendantes telles que les organismes consulaires, les hôpitaux, les universités…qui entrent même parfois dans des logiques de conflits locaux quand les présidents ne s’entendent pas. L’élu, fort de sa légitimité politique et inquiet de la réussite de son mandat en termes d’emploi, va généralement chercher à lancer et contrôler une démarche visant à améliorer l’attractivité du territoire de sa collectivité. Or, pour garder le contrôle sur une démarche, rien de tel que de décider qu’elle sera menée en interne au sein de la collectivité dirigée par l’élu. Bien sûr, on essaiera d’associer, plus ou moins, les « partenaires » locaux. Cette logique est renforcée par le fait que c’est souvent la collectivité qui finance l’intégralité de la démarche.
Le marketing mix territorial. © Vincent Gollain
84% d’échecs dans les marques de territoire
Dans ce cas de figure, les « partenaires » ne sont pas dupes de la place qui leur est laissée et, dans le meilleur des cas, ne font plus qu’acte de présence. De plus le portage de la démarche par la collectivité entraîne quasi automatiquement une ambiguïté entre la communication institutionnelle de la collectivité et les actions de promotion du territoire relevant du marketing territorial, cette ambiguïté pouvant même aller jusqu’à confier à la Direction de la Communication le pilotage de la démarche. Dès-lors, c’est souvent la Direction du Développement économique qui se rebelle car elle se voyait également pilote du dispositif. Dans ce cas de figure, c’est tout le volet relatif à l’adaptation de l’offre du territoire aux besoins des clients et prospects, pan essentiel de la démarche, qui s’effondre. Bref, la démarche de marketing s’est réduite à une simple campagne de communication. On crée une marque comme un logo, sans définir son univers ni le positionnement concurrentiel du territoire. C’est, entre autres, ainsi que 84% des marques de territoire à l’échelle mondiale conduisent à des échecs, selon une étude australienne régulièrement citée par Joël Gayet, grand maître es marketing territorial et fondateur de la chaire Attractivité et nouveau marketing territorial (IMPGT) d’Aix-Marseille. L’ambigüité entre communication publique et marketing territorial tient également au fait qu’à l’instar du marketing et du fait du développement des réseaux sociaux, les actions de communication publique tendent à s’individualiser et donc à se focaliser davantage sur le « client – usager – habitant ». De même, le marketing territorial ne s’intéresse pas qu’aux seuls prospects vivant à l’extérieur du territoire, mais de plus en plus aux habitants et entreprises du territoire dans une logique de développement endogène comme le montre la logique de mise en place de réseaux d’ambassadeurs du territoire visant à démultiplier la portée des actions de promotion du territoire et à générer des opportunités de contacts avec les entreprises.
Le rôle délicat des élus
Force est de constater que la plupart des réussites de démarches de marketing territoriale l’ont été parce que les différents acteurs d’un territoire sont parvenus à s’entendre autour d’une véritable gouvernance partagée, souvent par le biais d’une agence de développement économique, d’une société d’économie mixte ou d’une association. Pour autant, dans ce cas, le rôle des élus n’en est pas moins essentiel dans la mesure où la volonté politique est indispensable à la réussite d’une démarche. Soutenir un projet de toute son autorité sans chercher à le contrôler mais en conservant un simple statut de partenaire dans le cadre d’une gouvernance collective, voilà la délicate position que les élus doivent adopter pour que ce type de démarche fonctionne. Qu’une marque de territoire soit trop manifestement contrôlée par une collectivité et c’est l’assurance d’un abandon à court ou moyen terme en cas d’alternance politique lors des échéances électorales suivantes. Si, au contraire, la marque est portée par de nombreux partenaires publics et privés du territoire, elle pourra survivre à une telle alternance. Or, pour porter ses fruits, une marque a besoin de s’installer dans la durée.
Quelle identité pour nos territoires ?
Une autre problématique à laquelle sont confrontées les démarches de marketing territorial est celle de l’identité des territoires. La logique marketing pose le principe d’une différenciation positive de l’offre vis-à-vis des territoires concurrents. En quoi sommes-nous différents ? Qu’avons-nous de plus, de mieux que les autres ? Si certains territoires bénéficient d’une culture très ancrée, forte et spécifique (cf : Alsace, Bretagne, Corse, Lyon, Toulouse, Lille, Marseille…) tous les territoires ne peuvent se prévaloir d’un tel avantage. A fortiori si l’on travaille à une échelle communale ou intercommunale, l’on peut s’interroger sur ce qui fait la spécificité « positive » de cette agglomération. C’est souvent le handicap des villes moyennes qui vont toutes mettre en avant les mêmes arguments de la qualité de vie « loin des embouteillages » et « au vert ». Même les métropoles n’échappent pas à cette uniformisation des arguments d’attractivité dans la mesure où elles cherchent à attirer les mêmes publics. Pour séduire cadres et étudiants, elles insisteront donc toutes sur leur dynamisme culturel, économique et commercial, leurs infrastructures de transport, de sports, leur cadre de vie, leur animation autour d’événementiels festifs, la qualité de leurs structures de formation…il en résulte des vidéos superbes, mais qui se ressemblent toutes, où l’on voit des visages jeunes et épanouis mais où l’on est souvent incapable de dire s’il s’agit de Montréal, Stockholm ou Lyon. On ne peut toutefois nier le succès de certaines démarches de marketing, notamment celles des grandes métropoles internationales et même nationales qui ont investi de gros moyens au service de leur attractivité avec à la clé des résultats probants en termes de création d’emplois.
Qu’est-ce qu’un territoire pertinent ?
Cette question autour de l’identité des territoires ne cesse d’alimenter les débats des marketeurs territoriaux*. Il faut dire que la restructuration permanente de la carte administrative française suscite une tentation, tant chez les élus qu’au sein des services administratifs d’essayer de construire une identité correspondant au nouveau périmètre géographique d’une collectivité afin de renforcer sa légitimité aux yeux des habitants. Si certains de ces nouveaux territoires administratifs bénéficient d’une cohérence historique et culturelle reconnue (Communauté d’agglomération du Pays Basque, région Normandie…) d’autres s’échinent à démontrer que leur nouveau territoire est bien cohérent, qu’une grande partie de sa population partage les mêmes valeurs… (Hauts de France…). La réalité est que les limites administratives des collectivités correspondent rarement à des territoires « vécus » par les habitants où perçus par les visiteurs comme cohérents. Les professionnels du tourisme, qui font du marketing territorial depuis bien plus longtemps que leurs collègues du développement économique ou de la communication, savent qu’il est essentiel de « faire destination » c’est-à-dire être perçu par les voyageurs potentiels en tant que destination cohérente. Une des difficultés à penser « attractivité globale » réside dans le fait qu’un territoire pertinent d’un point de vue touristique ne le sera que rarement d’un point de vue économique (industrie, services…). Les cartes se superposent mais ne correspondent que rarement comme le montre l’exemple des Ardennes françaises qui ont plus d’affinités naturelles avec les Ardennes belges qu’avec le reste de leur région administrative, comme le souligne Marc Marynower, cofondateur de l’agence MMAP.
Une discipline qui se cherche encore
Par-delà les effets de mode, il est probable que le marketing territorial continue de se développer dans les années à venir tant on imagine mal que la concurrence entre territoire en matière d’attractivité puisse décroître. Dès-lors, il semble plausible que cette discipline qui se cherche encore finisse, comme la communication publique avant elle, par se rationnaliser pour devenir une fonction « normale ». Reste que le caractère collectif et non institutionnel du marketing territorial restera probablement encore longtemps complexe à mettre en œuvre car incompris de certains élus et cadres des collectivités dont le schéma de pensée reste encore ancré dans un modèle institutionnel. En attendant, à l’heure où la communication publique souffre, comme toutes les composantes des collectivités, de restrictions budgétaires drastiques, le marketing territorial et l’engouement qu’il suscite chez les décideurs publics offre encore des possibilités de financement intéressantes. Bon nombre d’agences de communication ne s’y sont pas trompées en se reconvertissant dans le domaine du marketing territorial plus susceptible de leur offrir des perspectives de développement.
*voir, entre autres, à ce sujet le blog www.marketing-territorial.org déjà cité, mais encore www.blog-territorial.fr et notamment les billets de Marc Thébault, Responsable de la mission Attractivité de la communauté d’agglomération Caen La Mer.
Source : Bertrand Bellanger, Directeur adjoint du Développement économique d’Amiens Métropole et Enseignant vacataire en Communication publique à Sciences Po Lille, Lille 2 et Lille 3.